"La mondialisation a été plus forte que le Hip-Hop"

Moussa Dabo, qu'on appelle Papou, est un membre de la Mafia K1fry , célèbre groupe de rap du Val-de-Marne né au milieu des années 90 . A l'origine des lignes de vêtements African Armure, Mafia K1fry et Young Nation, il est aussi un des pionniers de l'installation des marques streetwear en France.

"Excusez-moi, on va la faire comme ça." Entre deux rendez-vous, Moussa Dabo alias Papou, saute dans sa voiture et ajuste son téléphone sur le support accroché au ventilateur. En appel visio, il nous raconte les freestyles de Rohff et la musique de DJ Mehdi, les textes de Kery James et les sons de Mafia K1fry. C'était hier, mais c'était pourtant il y a 25 ans. L'occasion pour lui aussi de parler d'African Armure, la marque de vêtements qu'il crée en 2000 devenue une des marques pionnières du streetwear français.

L’Agence Des Quartiers : Le mouvement Hip-hop a une importance capitale dans ta vie, à quel moment tu attrapes le virus?

Papou : Je suis de la génération qui découvre le hip-hop à 15 ans en 89-90. Je découvre ce petit univers qu’on ne sent pas tout à fait mais qu’on commence à entendre de loin. A cette époque, je fais partie de ces jeunes enfants qui ne sont pas forcément les mieux placés dans la société. Je ne sais pas si on sait qu’on est noirs ou qu’on est issus de la minorité parce qu’à 14 ans, on n’a pas conscience de ça. On sait juste qu’il nous manque quelque chose. On savait pas trop ce qu’on voulait faire. Ce qui est sûr, c’est que je n’avais pas envie de travailler dans les types de métiers qu’on voyait pour nous les noirs. En revanche, il y avait déjà des styles musicaux qui me parlait, comme celui du rappeur Rakim. Il m’a tout de suite impressionné. Un noir à la télé sur TF1, avec une chaine en or, qui parlait de manière très sérieuse de la musique, c’était du jamais vu. J’ai trouvé pour la première fois de ma vie quelqu’un qui me ressemblait à la télévision. Tout de suite, je me suis identifié. J’ai réalisé qu’il avait eu le même impact sur beaucoup d’enfants autour de moi. À l’époque, je ne connaissais pas son nom, mais ça m’a poussé à faire des recherches. C’est quoi cette musique ? Pourquoi ils parlent comme ça ? Pourquoi ça m’intéresse ? Les années sont passées et ma culture américaine s’est solidement ancrée en moi.

L’ ADQ : Pourquoi tout de suite cette identification aux États-Unis et aux afro-américains en particulier ?

Papou : De fait, on a une culture française, parce qu’on est né en France. On a aussi une culture africaine, qui est issue du pays de nos parents, de nos voyages et des transmissions faites par nos familles. Et j’ai également une troisième culture : c’est la culture banlieusarde. C’est tous les codes de banlieues, peu importe de quel quartier tu viens : on a tous le même mode de vie. Mais j’ai aussi ma 4e culture qui est issue du Hip-Hop et donc des Etats-Unis. On aime bien dire que les gens issus de l’immigration ont une double culture mais en fait on en a souvent ces quatre cultures que je viens de vous citer. Avant le rap, on avait peu de choses qui nous liait à la culture française. A part Marius Tresor et Jean Tigana qu’on voyait de temps en temps à la télé, mais on n’avait pas d’artistes. On n’avait pas d’acteurs français noirs, à part pour jouer des rôles clichés. C’est pour ça qu’on s’est tout de suite identifié à la culture américaine qui nous ressemblait plus. On s’est tout de suite senti proches des noirs américains, parce que l’afro-français était dans l’ombre, il n’existait pas encore publiquement. Je connais tous les acteurs américains avant même qu’ils explosent. Je connais Tupac d’abord en tant que danseur. On a même vu le film « Juice », cinq ans avant que que Tupac explose dans la musique.

L’ ADQ: Tu parlais de la culture américaine et de son influence, est-ce que la manière de s’habiller des rappeurs afro-américains était aussi une inspiration pour vous ?

Papou : Bien sûr, on leur a tout pris ! Run DMC a commencé à s’habiller en Adidas, et on a tous copié. La culture américaine était beaucoup plus forte que ma culture française. Je n’aurais pas pu citer un titre de Jacques Brel. Alors que vous pouvez me demander n’importe quel titre de rappeurs de l’époque, je suis imprenable ! La culture américaine a nourri notre culture française. L’autre partie de notre culture, on l’a puisé en Afrique, parce qu’on continuer à parler les langues de nos parents, on allait dans nos pays d’origines pendant les vacances et on avait une relation sans doute plus importante avec l’Afrique que les afro-américains, parce qu’on était constamment connecté à nos racines. Ces racines nous ont permis d’être beaucoup plus stables. Avant le rap en France, les mecs c’étaient des Skins. Ils mettaient des bombers, des docs Martins… C’est la large diffusion de la basket prônées par Nike et Adidas qui a bouleversé nos codes vestimentaires.

Papou debout au centre de la photo, au milieu des membres de la Mafia K'1fry.

Papou debout au centre de la photo, au milieu des membres de la Mafia K'1fry.

Eric B et Rakim, rappeurs du début des années 90.

Eric B et Rakim, rappeurs du début des années 90.

Une des premières collections d'African Armure.

Une des premières collections d'African Armure.

Tupac à droite, avant sa carrière de rappeur sur le tournage du film Juicy

Tupac à droite, avant sa carrière de rappeur sur le tournage du film Juicy

Le groupe de rap RUN DMC habillé en Adidas dans le début des années 90

Le groupe de rap RUN DMC habillé en Adidas dans le début des années 90

"Aujourd'hui le Hip-Hop c'est sex, drug et rock'n roll. Et c'est à qui vendra le plus de sexe, de drogue et de Rock n'roll"

Papou

Une des premières collection de la marque African Armure.

Une des premières collection de la marque African Armure.

Papou lors de l'un de ses premiers voyages aux Etats-Unis.

Papou lors de l'un de ses premiers voyages aux Etats-Unis.

Creez, célèbre graffeur parisien et co-fondateur de la marque Wrung.

Creez, célèbre graffeur parisien et co-fondateur de la marque Wrung.

ADQ : A l’époque le streetwear était vraiment un style vestimentaire underground qui appartenait aux gars des quartiers, aujourd’hui en même temps que le Hip-hop s’est largement diffusé, tout le monde s’habille comme ça. Est-ce que selon toi il y a encore une manière de s’habiller qui n’appartiendrait qu’aux habitants des quartiers ?

Papou : Je pense qu’aujourd’hui tout est uniformisé, tout est ouvert pour tout le monde. C’est la rareté qui faisait qu’on était Hip-Hop. Dans les années 90 tout le monde ne pouvait pas avoir des bobs Kangol, aujourd’hui tu vas sur internet je t’en ramène 100. Et toutes les marques de l’époque qui n’étaient pratiquement pas accessible sont à la portée de tout le monde aujourd’hui.

Du coup ça uniformise. La mondialisation est plus forte que le Hip-Hop. On fait plus de différence entre rien maintenant dans ce mouvement. Le Hip-Hop je l’aimerai toujours et j’en écouterai sans doute toute ma vie, mais je suis moins émoustillé. A la sonorité je ne fais plus la différence entre un mec du Texas et un mec de New-York. Ce qui était beaucoup plus visible avant. Pareil pour le rap français. Le rap de marseille et le rap parisien n’étaient pas les mêmes. Tu prenais la FF et la Mafia K1fry, il y avait une grosse différence dans la sonorité, dans la façon de faire rimer les mots, dans la façon même de les écrire. Et c’était valable aussi pour dissocier le rap du 93 et du 92. La façon dont le 9.2 rappait était très spécifique, le groupe Beat 2 Boul avait une manière spéciale de couper les mots.

Tout est uniformisé aujourd’hui dans notre société, et le rap et le vêtement n’est pas imperméable à ces changements. Clairement il n’y a plus de mode Hip-Hop pour moi. Et aujourd’hui ce n’est pas parce que t’es habillé Hip-Hop que t’écoutes du Hip-Hop. Et inversement.

L'ADQ : En quelle année t’es-tu lancé dans l’aventure du sporstwear avec ta marque African Armure ? 

Papou : Je me suis lancé en 1998. Je voyageais déjà à New York ou en Thaïlande pour acheter des fausses Timberland. J’étais déjà dans le commerce du vêtement. La culture hip-hop et le rap étaient déjà ancrées en moi quand je me suis lancé dans la musique avec Mafia K1fry. Je commence à écrire des textes mais je suis hyper introverti. Et j’ai mon problème de double-culture avec ma maman qui ne voulait pas que je fasse de rap, car chez nous ce sont les griots qui chantent, pas les nobles, l’ethnie dont je fais partie. Pour elle, c’était des trucs de voyous. Donc au moment de rapper, mon introversion n’a pas aidé mais je n’en étais pas encore conscient. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais honte, pourquoi j’étais gêné. Les rares fois que j’ai rappé, j’avais l’impression d’être agressé quand des gars venaient me féliciter par rapport à mes textes, alors que c’est quelque chose de positif qui m’arrivait.

L’ ADQ : Wrung t’a aidé à monter ta marque, comment s'est faite la connexion ?

Papou : La marque Wrung est un précurseur du streetwear en France. Ce qu’ils font c’est très fort. Ils arrivent en 1995, mais moi je les rencontre en 1999/2000. Là, je commence à comprendre ce que je peux faire.

Je leur demande de m’expliquer comment ça marche. Ils ont capté que j’étais pas qu’un simple rappeur. Screez et Romain ( les fondateurs de la marque ndlr), ont compris que je voulais rentrer dans ce domaine aussi. La semaine qui a suivi j'ai posé l’argent sur la table. Ils m'avaient légué leur savoir, maintenant c'était à moi de mettre en pratique.

Wrung me donne tout, clé en main. Ils me voient pas du tout comme un concurrent, au contraire. Ils viennent de la banlieue française ce sont des gars du 92 (Hauts-de-Seine). Le hip-hop de notre époque c’est une grande famille, peu importe d'où tu venais. Là, ils ont juste vu en moi un mec qui veut s’auto-sponsoriser et qu'ils pouvaient aider. C'est sûr ils allaient perdre une part de marché mais en même temps ils faisaient avancer le truc. C'était ça l'esprit.

Wrung me connecte avec leur fabricant et d'ailleurs faut savoir pour la petite anecdote que les premiers T-shirts Mafia k’1ry et African Armure sont étiquetés Wrung, une anomalie incroyable. D’ailleurs tous ceux qui les ont, c'est collector de ouf ! J’ai acheté des pulls et des T-shirts vierges chez Wrung puisque c’est les seuls mecs que je connaissais qui faisaient ça. J’avais jamais vu un mec qui faisait de la sérigraphie avant. Je ne savais même pas comment on faisait pour apposer une marque sur un vêtement. C’est eux qui m’ont appris le métier.

"Quand tu me vois la première chose qui te saute aux yeux c'est mon africanité"

PAPOU

L’ADQ : African Armure c’est pas une nom anodin, quel message tu voulais passer ?

Papou : African Armure c’est d’entrée un message, et la Mafia k’1fry c’est pareil. Aujourd’hui c’est dingue ce qui peut m’arriver grâce à cette marque. African armure c’est un message pure, dure, clair et net. Il n’y a pas d’ambigüité sur ce qui est dit, c’est un message que je porte moi dans ma vie de tous les jours.

Quand tu me vois, la première chose qui te saute aux yeux c’est mon "africanité". Mon côté Français ne se révèle qu’au moment où tu m’entends parler. Je parle français avec un accent de banlieusard. Mais au premier regard il n’y aucune différence entre moi et un migrant africain.

C’est mon identité que je place en créant la marque. Armure est orthographié en français pour dire d’où je viens. Armure c’est la définition de ce que je suis: réservé, introverti, on rentre pas dans mon cercle facilement, je suis pas l’ami de tout le monde et je veux pas être l’ami de tout le monde. C’est un nom que je peux porter toute ma vie parce que c’est mon identité. Le logo se fait de cette définition-là, c’est d'ailleurs comme ça que le bouclier arrive. Et la première fois que j'entends cette expression c’est Kery James qui dit « on va endosser l’africaine armure », on est en studio à ce moment là et moi j’ai le déclic. Je leur dis à tous qu’on va littéralement l’endosser cette africaine armure. A cet instant je trainais sur ma feuille, j'arrivais pas à écrire, je devais rentrer en cabine d'enregistrement, et là j’entends ça. Et je leur dis ça y’est les gars j’ai trouvé mon projet, j’ai trouvé ce que je vais faire dans la vie, allez c’est bon !(rires)

Agence des Quartiers : En crééant cette marque tu voulais prendre un marché qui vous revenait, vous habitants des quartiers. Mais aujourd’hui, c’est Nike et Adidas que les jeunes portent dans ces endroits là. Pourquoi est-ce qu’une marque issue des quartiers n’a jamais réussi à s’imposer de manière pérenne ?

Papou : Je ne sais même pas si on aura assez de temps pour évoquer ce problème. C’est un très grand sujet. On va devoir parler de ce plafond de verre qui limite. Et ce n’est pas seulement de vêtements ou de rap dont il s’agit là. C’est de toute la société et la culture française. Au moment où on se lance, on a tout fait pour casser ce plafond de verre. Pendant que des mecs comme moi ont créé des marques de vêtements, d’autre qui ont créé des boutiques, ou d’autres encore ont fait du sponsoring. Les artistes sont devenus plus forts, plus reconnaissables. Le mouvement avançait. La chaine Trace TV s’est mise en place. Les magazines de rap se sont installés aussi. Sauf qu’à des moments donnés on n’avait pas l’éducation scolaire et universitaire nécessaire pour comprendre les enjeux. Il n’y avait que des autodidactes. Les entrepreneurs vous diront qu’un autodidacte c’est magnifique. Mais un autodidacte n’est fort que quand il est accompagné d’universitaires. Fifty (le rappeur 50 cent ndlr) il dit : « J’ai jamais été à l’école, mais dans mon équipe il n’y a que des gens sortis de Harvard. » Et nous, on n’a personne qui est sorti des grandes écoles quand on est dans le rap à l’époque. Quand moi je fais 1 million d’euros de chiffre d’affaires, j’ai aucun gars de quartier qui sort d’école de commerce, et qui me dit mon gars je vais gérer ton oseille, on va doubler le chiffre d’affaires. On a fait beaucoup d’erreurs. C’est ça qui nous a limité. Et après une fois que t’es limité tu faiblis et après tu rechutes. Il n’y a pas de directives officielles, c’est pas l’Etat qui a dit non on ne veut pas que ces gens là progressent. C’est social.

ADQ : Il y a quand même des contre-exemple. Il y a l’équipe de Booska-p qui ont pris ce marché et ils ont réussi maintenant à s’imposer comme un média incontournable du milieu. Ils sont devenus mainstream.

Papou : Les gars de Booska-p ils arrivent après nous. Ils arrivent avec une expérience. Avant Booska-p, il y a les magazines de Hip-hop qui existent depuis presque une dizaine d’années. Booska-p est arrivé avec le numérique, avec l’ère des réseaux et ils ont eu un bon flair. Ils sont arrivés au bon moment au bon endroit et dans la bonne culture.

ADQ : Toi aussi non ?

Papou : Pas du tout ! On est arrivés dans le dur nous. Rien n’existait à notre époque, il a fallu construire. Et après on a grandi, et en vérité on aurait dû grandir encore plus. A l’époque j’ai travaillé avec la Redoute, avec les 3 Suisses, Carrefour voulait signer un contrat de merchandising avec nous. C’est notre égo qui nous a planté. Notre orgeuil et le manque de savoir aussi. On n’était pas suffisamment bien entourés. Encore aujourd’hui je suis à l’affût de gens qui sortent de ces écoles et qui seraient capables de m’apporter leur bagage. Vous vous imaginez ce qu’on aurait pu faire à l’époque. Je devrais être blindé en immobilier aujourd’hui normalement (rires).

Après la marque Dia a signé un contrat de licence, Airness aussi et moi j’ai été le seul à avoir décidé de rester indépendant. J’ai eu du mal à suivre leur progression du coup. De leur coté, ils étaient tout seul avec leur marque et un contrat de licence. Moi quand j’ai signé mon contrat de licence j’avais 15 mecs avec moi. Dans une armée quand t’as 15 capitaines, tu sais qu’elle va partir en déroute. C’est ça notre histoire. C’est ce qui a fait notre force et notre faiblesse aussi. Ils nous a manqué énormément de monde. On n’a pas pu grandir comme on aurait dû.

Les membres de la Mafia K'1fry à la "demi-lune", endroit où avait l'habitude de se réunir tous les rappeurs.

Les membres de la Mafia K'1fry à la "demi-lune", endroit où avait l'habitude de se réunir tous les rappeurs.

Un des plus célèbres clips du rap français, dans lequel plusieurs membres du groupe Mafia K1fry portent des vêtements conçus par Papou.

Un des plus célèbres clips du rap français, dans lequel plusieurs membres du groupe Mafia K1fry portent des vêtements conçus par Papou.

L’ ADQ : Et dans cette nouvelle génération, il y en certains avec qui tu as déjà d’échangé ?

Papou : Ce dont je suis très fier, c’est de voir tous ces petits frères qui ont créé des marques et qui me disent que c’est en partie grâce aux vêtements qu’on a créé qu’ils font ça. De voir que j’ai pu en inspirer d’autres. Ça veut dire qu’une partie du boulot est accomplie. J’ai pas envoyé un mauvais message. Je ne suis pas quelqu’un de bling-bling, je fais attention, j’essaie de développer des codes. Dans toutes les collections d’African Armure il y a tout le temps un sens. Mafia K1fry c’est différent on travaillait autour du logo, donc pas forcément besoin de donner plus de sens. Et quand je vois des mecs qui créent des trucs et qui m’invitent après pour me montrer ce qu’ils font ou juste pour me faire une sorte d’hommage, c’est magnifique. C’est à ce moment-là que je suis payé. Je suis vraiment content d’avoir créé ce nom. Plusieurs fois j’ai voulu arrêter, et tous les étés il y a des gens qui reviennent et qui me demandent encore une collection capsule. Et ça c’est ma fierté.

ADQ : Le mouvement Hip-Hop est mort pour toi ?

Papou : Le mouvement Hip-Hop est mort parce qu’il a perdu son message. The Message comme l’avait écrit NAS ou K.R.S ONE. Moi j’ai découvert que John Wayne était raciste grace à Public Ennemy par exemple. Ma mère ne regardait que des films de John Wayne. Et c’est vrai qu’aujourd’hui ça c’est moins possible.

Il y a encore des morceaux aujourd’hui qui m’envoient la même énergie quand je les écoute, ils me donnent la même force. Quand j’écoute « Attaque contre Attaque » d’Ideal J, je ne peux pas rester calme sur ce morceau. Ca me donne envie de me battre, de travailler, de gagner ma vie. Ca provoque une telle émotion. C’est comme un boxeur avant de monter sur un ring. Il a une énergie gigantesque. Pour moi c’est ça le Hip-Hop.

Mais aujourd’hui on voit bien qu’il va avec la société, c’est un Hip-Hop « sex, drug and rock’n’roll », et c’est à qui vendra le plus de sexe de drogue et de rock’n’roll, c’est navrant. J’écoute beaucoup de rappeurs et j’aime bien échanger avec les nouvelles générations. Du coup je reçois plein de sons, mais je ne peux plus écouter, c’est une catastrophe. Les sons c’est chaque fois les mêmes. « Ouai si j’étais pas sorti de ma cité je serai en prison ». Moi je te le dis clairement, en étant membre de la Mafia K1fry, si il n’y avait pas eu le rap, je serai quand même devenu quelqu’un.

ADQ : Tu avais pressenti que le mouvement Hip-Hop serait aussi dénaturé ?

Papou :  Non. C’est quelque chose qui était imprévisible pour moi. Le rap d’où je suis issu il avait toutes les couleurs. Le groupe LL Cool J il m’a éduqué, il m’a dit soit beau-gosse, prend soin de ton corps. Public Ennemy m’a dit politise toi, informe-toi, lis des livres, N.W.A c’était vraiment la street. Le rap était magnifique, c’était un arc-en-ciel. Il avait plein de couleurs. Il y avait les X-Clan, les Tribe Called Quest qui nous encourageait à retourner en Afrique, à faire attention à notre culture. Il y avait Humpty Hump de Digital Underground qui mettait un nez de clown, c’était d’ailleurs le premier groupe de Tupac pour l’anecdote. Il y avait un éventail énorme dans le rap. Et ça c’était génial, parce qu’en fonction de mon humeur je pouvais choisir l’artiste qui allait m’amener la couleur dont j’avais envie.

C’est dommage, parce que si le rap avait à être mondialisé c’était à cette époque, parce qu’il y en avait pour tout le monde. Aujourd’hui faut dire que le rap s’est aseptisé, il s’est adouci, et pour moi c’est vraiment la formule « sex drug and rock’n’roll ». Quand je vois les chiffres de vente je suis choqué, je me dis comment c’est possible. Comment ils peuvent vendre des sons comme ça.